Les fantômes

Je crois que toute ma vie je me promènerai en tenant Louise par la main dans le matin glacial de la ville. Tout ma vie je ferai tourner Tristan sur lui-même sur le chemin qui mène aux Salines Royales. Toute ma vie je les bercerai, Louise allongée en travers de mon épaule et Tristan dans mes bras. La même berceuse, toujours la même.

Le soleil se couche et je revois mille coucher de soleil, ici ou au pied d'un immeuble où Louise joue avec d'autre enfants. Tristan allongé sur un lit d'hôtel après une chute, l'orange du soir traversant les rideaux.

Il y a tant de moments vécus que je pourrais me perdre dedans sans jamais en sortir. Des souvenirs qui deviennent des fantômes, toquant à la porte de l’esprit. Des morceaux de vie qui attestent de notre existence, traces d'hier visibles dans la neige du temps et qui montrent le chemin parcouru. 

Au bout d'un moment, n'est-ce pas tout ce qu'il nous reste, les fantômes ? Ceux d'avant, ces fantômes délicieux et cruelles qui cherchent à nous garder dans un passé qui n'est plus et qui ne sera jamais un futur. Le passé c'est ce qu'il nous reste quand on plus rien. 

Je sais que je vivrai avec des fantômes les années qui me restent à vivre. Mes enfants seuls seront le présent.

Je vivrai au milieu de mes fantômes, ceux d'une vie passée, ceux d'une vie non vécue, ceux d'un rêve mort. Petit bonhomme perdu entre la réalité, ce qui fut et ce qui aurait pu être. J'aime assez cette idée, même si je sais que la vie est souvent pire que ce qu'on imagine. Ce sera donc mon fantôme du futur. 

Mais je ne serai jamais Scrooge. Je n'ai pas son statut social tout d'abord et personne ne consacrera le moindre chapitre d'un conte de noël à ma petite personne et enfin, moi j'aime. J'aime mes enfants, j'aime les gens parfois, j'aime des personnes que je trouve hors du commun, même si je ne leur avouerai jamais, j'aime ce que je n'aurai pas, j'aime même ceux qui ne m'aiment pas. Je n'ai pas besoin d'un esprit pour m'apprendre ce qu'est l'amour. 

Et lorsque Louise me tient par la main, lorsque je prends Tristan dans mes bras, lorsque mon esprit se laisse prendre par tous ces fantômes, c'est ça qui me remplit. Pas la tristesse, pas la nostalgie, juste l'amour, l'amour de ceux que j'aime et qui ne quitteront jamais mon cœur quoiqu'il arrive